RETOUR AUX SOURCES
Rendons à César ce qui est à César. Notre A.E.P. existe depuis 1972, mais avec ses fondateurs, d’autres, un autre au moins avait pensé à réunir les gens de la terre attachés aux valeurs de l’esprit : Charles Bourgeois, ancien instituteur à Epaux-Bézu, dans l’Aisne. Un embryon d’association avait été créé et une petite revue, « le courrier des Ecrivains Paysans », avait vu le jour. Sa durée fut éphémère et cette première Association ne vécut guère davantage. Lorsque nous avons créé la nôtre , Charles Bourgeois a été contacté. Peut-être déçu, et se disant fatigué, il n’est pas venu avec nous. Je l’ai regretté, mais il avait le droit de se mettre en retrait. Ces choses là se sont passées dans les années qui ont suivi la dernière guerre.
Charles Bourgeois est décédé, mais il m’était impossible, voulant dire ici comment est née l’A.E.P., de ne pas mentionner son initiative et de ne pas rendre hommage à sa mémoire.
Notre actuelle Association n’a cependant rien à voir avec la tentative de Charles Bourgeois. Celui de qui l’idée en est venue ignorait même l’existence de ce précurseur et celui-là, hélas! est également décédé aujourd’hui, il s’agit d’Elie Olivier, de Saint Jean de Serres dans le Gard.
Nous étions quelques-uns, des paysans, à travers l’hexagone à savoir que la terre s’exprimait dans nos ouvrages, et une correspondance plus ou moins suivie s’était engagée entre nous. Il y eut d’abord Michel MAURETTE , de Caux-et-Sauzens, dans l’Aude, puis Marius NOGUES, dans le Gers, et Elie OLIVIER, dans le Gard.
Michel Maurette fut sans doute le meilleur d’entre nous, un authentique écrivain, un homme de cœur, un seigneur, un vrai. Il est mort pendant notre premier salon, en mars 1973. Ce fut une grande peine pour moi et une grande perte pour nous tous. Il avait pleinement souscrit à l’idée de l’A.E.P. Il en fut le Président d’Honneur.
Et c’est en allant lui rendre visite, le jour où les aînés de mes enfants furent aptes à surveiller ma petite exploitation durant quelques jours, que je me suis arrêté chez Elie Olivier, une autre grande âme, un convaincu des valeurs terriennes, un homme d’une profondeur et d’un accueil comme il en existe peu. Et dans nos conversations au sujet de nos travaux littéraires, au sujet de cette terre qui mérite d’être louée et d’une paysannerie tenue jusque là dans un mépris, qui par bonheur, tend aujourd’hui à s’effacer, qu’il m’a dit: « Ne croyez-vous pas qu’il serait bon de nous rassembler, nous autres qui aimons la terre et sommes censés la glorifier ? »
J’ai parlé de cela à Michel Maurette qui, je l’ai dit, fut immédiatement d’accord, et comme je faisais alors un peu un tour de France des paysans-écrivains, arrivé chez Marius Noguès, à Haget, je lui soumis également l’idée. Lui aussi fut immédiatement d’accord.
Là-dessus, je suis rentré chez moi et c’est là-bas, dans le Sud-Ouest, que tout s’est mis en route. Noguès était lié d’amitié avec Louis Roques, de Rabastens-de-Bigorre et connaissait Jean-Louis Quereillhac, de Plaisance-de-Gers. Ces trois hommes-là ensemble, ont prévu une première rencontre, une Assemblée constitutive de l’A.E.P.
Ce sont eux qui ont fait toutes les démarches, auprès des autorités, de l’Administration, et de même pour l’organisation matérielle.
Nous nous sommes donc retrouvés à une bonne vingtaine, à Plaisance, un aimable chef-lieu de canton dont Jean-Louis était le Maire et Conseiller Général. Ce fut très sérieux, Louis Roques, qui dirigeait, imposa tout naturellement une sorte de solennité dont l’amitié ne fut pas absente.
L’Association aurait pour but de nous amener à nous connaître, ceux qui étaient là et tous ceux dont nous ignorions l’existence et qui glorifiaient la terre dans des livres, des plaquettes, des causeries ou de toute autre façon, qui ainsi que nous-mêmes souhaitaient prouver que si le paysan a les pieds dans l’argile – et souvent dans la boue – il n’en a pas moins le front dans l’azur et, comme l’a si bien dit Michel Maurette, sa charrue accrochée aux étoiles. L’Association aurait aussi pour but de faire connaître nos œuvres dans la mesure du possible et de les promouvoir, et c’est à partir de là que l’idée est venue d’un stand au Salon de l’Agriculture. Cette idée était bonne, puisqu’elle tient depuis lors et, ici encore, rendons à César ce qui est à César, c’est à Maurice Fardeau et à ses relations, à ses démarches que nous avons dû être présents Porte de Versailles.
Bref, tout le monde, au moins ses adhérents, connaît le chemin parcouru depuis. Vingt-cinq années d’existence, ce n’est pas mal pour une Association telle que la nôtre. Elle a, certes, au cours de ce quart de siècle, vécu des hauts et des bas, a vu surgir des malentendus entre ses membres, mais elle est toujours sortie triomphante des difficultés. Elle a connu des figures exemplaires, des tempéraments forts, des personnalités extrêmement typées, mais toutes avec l’amour de la terre et le rêve, la volonté d’en parler d’une manière exhaustive, de prouver au monde que l’homme des champs et ceux qui le tiennent en considération avaient raison d’être fiers de leur état.
Faut-il donner des noms ? il y eut Noguès qui, au regret de tous, et en raison de certaines incompréhensions, nous a quitté après avoir été vice-président pendant plusieurs années. Il y eut Louis Roquès, premier secrétaire général, hélas décédé. Il y eut Fardeau, enigmatique, à qui l’A.E.P. dut beaucoup et qui a démissionné lui aussi. Il y eut et il y a encore, grâce à Dieu, Jean-Louis Quereillahc, vice-président depuis les origines, avec sa faconde Gascogne et son sens des orientations. Je ne cite que ceux qui ne sont plus avec nous, ou qui furent, qui sont actuellement investis de responsabilités. Parmi les fondateurs, en dehors de Louis Roquès et d’Elie Olivier, plusieurs, dont André Briotet qui fut trésorier, ont hélas quitté ce monde. En vingt-cinq ans il se passe tellement de choses !
Parmi les figures fortes et après la création, il y eut Pierre Melet, berger, décédé, il y eut Louis Masure, il y eut Maurice Bidaux, un monument, un homme qui s’est cabré et s’en est allé sans que l’on sache jamais pourquoi. Il y eut le belge Pol Winkin, , et parmi les femmes, au départ, Rose-Marie Lagrave et Eliane Aubert. Rose-Marie Lagrave basa sa thèse des Sciences Sociales sur l’A.E.P., puis en tira » Le Village Romanesque » publié aux Editions Actes-Sud. Il y eut l’impétueuse et pétulante Claire Méline. La profonde Chantal Olivier fut bientôt des nôtres également. Il y eut les méticuleux et discrets Rolande et Jean Guilly. J’en oublie, je vieillis, qu’il me soit pardonné par ceux que je ne mentionne pas. Il y eut Pierre d’Angles, cette haute figure également disparue et dont le souvenir me revient tout-à-coup. Un grand poète, un homme de théâtre. Et notre cher Emile Joulain, gloire à l’Anjou, prince des poètes, l’éternel dans la mémoire de l’A.E.P., Yvon Péan qui fut Secrétaire Général et reste fidèle , Odette Magarian, seconde présidente fut contrainte par la maladie à abandonner ses charges… Georges Van Snick, avec son autorité naturelle et son tact infini, a accepté de prendre les commandes lors du congrès 1996. Quant à Ginette Turmel, tous nous connaissons son dévouement.
Et je pourrais faire le tour de nos congrès, qui quadrillèrent la France, de Plaisance dans le Gers, à Namur en Belgique – l’Association étant devenue internationale – de Mur de Bretagne à Delle dans le Territoire de Belfort et à Laragne-Montéglin dans les Hautes Alpes. Je pourrais les citer tous, mais d’autres le feront mieux que moi et diront la résonance qu’ils eurent dans les contrées où ils se tinrent.
Et je dois avouer, pour conclure et même si je me répète, que tout n’a pas toujours été facile à l’A.E.P., mais les difficultés sont inhérentes à la vie d’une Association, comme les incompréhensions et les querelles sont inhérentes à la vie en commun des hommes. Mais quand le cœur est là, et l’honnêteté avec lui, quand la bonne volonté reste maîtresse des esprits, tout finit toujours par s’arranger . En cette année du vingt-cinquième anniversaire, je fais vœu pour que l’A.E.P. demeure, elle doit demeurer et elle demeurera, peut-être dans une orientation nouvelle, mais c’est dans l’ordre, afin que la terre ait sa place dans les livres, dans les arts, et que ceux qui la vivent ou s’en sentent proches conservent leur idéal et restent des porte-paroles.
Tout cela comme jusqu’à présent, en dehors de toute idéologie politique ou religieuse, chacun respectant la manière de penser des autres. La terre et les arts sont les points de rencontre dans l’idéal, quand on se veut au service de la même cause et que l’on est de bonne volonté.
Longue, longue vie à l’A.I.E.P. et à ceux qui en tiennent désormais les rênes !.
Jean ROBINET – Président Fondateur.
-PS: Extraits de la plaquette » 25 ème ANNIVERSAIRE » vendue 8 €uros franco.
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