Une dame de cinquante printemps vous parle. Française par la langue, universelle par le cœur. Ma parole n’est point une mais plurielle. Voilà mon message.
Nous, Association des écrivains et artistes paysans tendons ici nos mains aux générations futures. Qu’elles sachent que demain comme hier, il se trouvera des femmes et des hommes de la terre, des paysans œuvrant avec tout le vivant, de leur corps comme de leur esprit, conciliant le manuel et l’intellectuel, le cultural et le culturel, le trivial et l’artistique.
Des paysans écrivains et artistes se sont levés voilà plus de cent ans, graines germées dans le sillon de l’école républicaine, héritiers des oubliés révoltés paysans, serfs, croquants, camisards et autres insurgés. Troquant la faux contre une plume, sortant de leur isolement campagnard, ils ont fait irruption là où on ne les attendait pas, la sphère littéraire et artistique, pour livrer des combats que leurs tripes réclamaient à corps et à cris.
Nous, écrivains et artistes paysans avons pris soin de cette parole multiple reçue en héritage. Nous, écrivains et artistes paysans avons poursuivi le chemin tracé par eux, par nos écrits, nos chansons, nos tableaux et nos sculptures. Ceux qui depuis nous ont quittés pour une autre terre, avaient tracé une voie par un écrit commun, Le Manifeste de Laragne publié le 18 mai 1975. Ce texte protestait – déjà – contre la destruction de l’exploitation familiale. Il alertait – déjà – contre les dérives d’une logique technico-économique déshumanisante. Il affirmait que le journalisme, le roman et la poésie révèlent toujours le combat de l’homme pour sa liberté. Il voulait que les paysans soient à la pointe d’un combat pour abolir les frontières entre les hommes et œuvrer pour un avenir de fraternité et de paix.
Un demi-siècle après eux, nous affirmons notre légitimité à poursuivre le chemin inauguré par ces fondateurs. Quand l’évolution historique a réduit l’agriculture à un processus technique soumis à la concurrence et aux lois du marché, quand elle n’est plus perçue que comme un acte de production obéissant à une logique où le moins armé est forcément perdant, nous disons qu’elle existe aussi et d’abord comme expérience humaine, qu’il est primordial de traduire dans le domaine de l’art et de la culture. Cela afin de lui restituer sa beauté aux yeux de toutes et de tous.
Depuis notre naissance, quelques cinq cents auteur(e)s et artistes paysans se sont succédé en notre sein. Leurs 1300 ouvrages répertoriés ont été rassemblés, répertoriés et rendus accessibles à tous. Les créations de ces écrivains et artistes, témoignent de la fidélité à ces combats éternels pour la liberté, auxquels se sont ajoutés la lutte contre les risques écologiques majeurs, la nécessité de s’inscrire dans les mutations en cours et d’apprendre à agir pour une mondialisation constructive. Cette tâche est loin d’être achevée. Sur tous les continents, le monde paysan se renouvelle profondément, mû par la nécessité pour notre génération de transmettre la terre en tant qu’organisme vivant, non pas comme un moyen de production à épuiser, qu’elle la fasse vivre par des soins et des pratiques adaptées. Les innovations en agrobiologie, en permaculture et autres nouvelles techniques, les agricultures familiales, paysannes, urbaines, d’entreprises, se confrontent et se conjuguent.
En France, le mot paysan désigne aujourd’hui des agriculteurs, des ouvriers agricoles, des cotisants solidaires, des citadins et des retraités de ces divers statuts. Beaucoup sont des professionnels à plein temps ou à temps partiel. Les formes hybrides d’œuvrer et d’être à la terre se perpétuent et se renouvellent. Les nouveaux paysans sont connectés au monde par internet, les médias, les voyages, et de multiples réseaux associatifs, professionnels et culturels. Nombre d’entre eux arrivent d’autres milieux professionnels et culturels. Une moitié ont suivi des études supérieures, une autre non. Tous sont tournés vers l’avenir. La plupart sont dans l’invention, l’innovation sous toutes ses formes. Ils cherchent d’autres façons de produire, d’être au monde et d’agir dans la société. Beaucoup sont des aventuriers, des héros des temps modernes.
L’art est le plus bel outil dont disposent les paysans pour exprimer par eux-mêmes, par leurs propres voix ce profond renouvellement des façons d’être à la terre. L’écriture, la peinture, le chant, le conte, la sculpture, aucun de ces arts n’est la chasse gardée de quelques hobereaux, tous s’ancrent dans une tradition née avec et de l’humanité. L’art est un outil qui dans la main transcende la nature. Il valorise le lien fort qui nous unit à elle. L’art est universel et indépendant de tout jugement de valeur car il touche au permanent, au fondamental, à l’essentiel, au sacré. Comme la graine que l’on sème, il ne demande qu’une terre amoureuse et bienveillante pour s’épanouir. Nous, Association des écrivains et artistes paysans sommes dédiés à cela : un espace de convivialité, de tolérance, de dialogue, d’entraide et d’exploration des nouvelles réalités du monde paysan. La plupart d’entre nous sont en lien direct avec la nature et le travail de la terre. Tous, nous sommes des témoins, des transmetteurs de mémoire, des visionnaires. Et parce qu’on est plus fort ensemble que seul et isolé, nous trouvons dans notre association un appui pour que nos ouvrages soient reconnus et fassent leur chemin dans les librairies, les maisons d’édition et les prix littéraires.
Ensemble, nous allons chercher et faire émerger la parole artistique et littéraire dans les diverses composantes de ce monde paysan renouvelé. C’est ce combat de liberté, de promotion de l’humain dans toutes ses capacités que nous voulons porter à travers nos œuvres, en suscitant une parole audacieuse, celle des moins armés pour exister culturellement. Une parole plurielle qui expérimente et rend avec acuité ce que cet éloignement produit de justesse et de force. En notre époque troublée, c’est contribuer à la construction de la paix au sein même de nos sociétés, ainsi qu’entre les peuples, et entre le genre humain et la nature.
Ainsi nous, écrivains et artistes paysans, entendons élever et révéler cette parole. Toute la richesse et la puissance d’une confrontation avec la réalité du vivant que des femmes et des hommes expérimentent au quotidien, ses affres et ses joies, ses routines et aléas, ses rêves et embarras. Sculpter à coups de mots, peindre au burin le vécu, écrire au pinceau nos émotions, tel est notre idéal, celui de libérer nos mains de l’emprise des machines, nos yeux du gouffre des écrans. Car c’est par la main créative, en prise avec la matière, que nos facultés personnelles s’affirment et s’affinent. Voilà pourquoi, en ce jour, au nom de toutes et de tous rassemblé.e.s en mon sein, une dame de cinquante ans se présente à vous. Oui demain comme hier, les paysans de la terre entière demeureront des manuels investis par la beauté du monde. L’art sera leur langue commune. Et moi, nous, leur ambassadrice.
L’AEAP Septembre 2023
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