Ce texte écrit il y un demi-siècle est la profession de foi des Ecrivains Paysans.
Bien que réactualisé par le Manifeste pour le 21ème s. il demeure pourtant d’actualité.
LE MANIFESTE DE LARAGNE
L’ASSOCIATION DES ECRIVAINS PAYSANS a maintenant trois ans d’existence.
Si sa préoccupation majeure a été, et reste, d’établir des contacts entre les membres, d’encourager toute parution littéraire d’inspiration terrienne, de promouvoir une littérature populaire qui reflète les sentiments et les préoccupations du monde paysan, il n’en demeure pas moins qu’elle ne saurait
ignorer ou même sous-estimer les problèmes graves qui assaillent le monde agricole.
Dans le journalisme, le roman, et mêmes la poésie, se révèle toujours la manifestation d’un combat: celui de l’homme pour sa liberté à l’égard des contraintes impitoyables imposées par un monde moderne égoïste et technocratique. Dans ce combat journalier, les écrivains paysans se veulent au premier rang, témoins et acteurs d’une rivalité où le plus armé n’est pas
forcément le vainqueur.
S’ils décrivent avec émotion la vie rurale, sous ses aspects les plus variés, ils refusent de la voir réduite à un schéma folklorique, de nécessité hygiénique et vacancière.
Ils protestent contre la destruction de l’exploitation familiale en proie aux appétits économiques concentrationnaires. L’extinction de la famille rurale vide irrémédiablement nos campagnes de tous ceux, paysans et artisans qui eux, savent garder à la terre son vrai visage, celui que la nature a généreusement composé pour qu’il y mûrisse nos moissons sous nos efforts millénaires. Ils protestent également contre le mauvais sort jeté à l’encontre des organisations agricoles de coopération, de mutualité, de crédit, par la voracité des sociétés multinationales accapareuses de terres et de marchés, par seul souci de spéculations et de profits.
Ils protestent contre l’envahissement de l’industrialisation en agriculture sous prétexte de libération de l’homme. Ainsi l’asservit-on à la technique parfois incompatible avec les règles inflexibles de la nature et l’enchaîne-t-on à une impitoyable production dont le désordre et l’absence de planification conduisent fatalement à la surproduction, à l’endettement et parfois à la misère.
Ils protestent enfin contre la carence du monde moderne qui, depuis la naissance de l’enfant jusqu’à sa majorité, lui inculque sans cesse les notions de profit, de gain, de placements, de rendements. Il n’est question que d’argent comme si le seul but de l’existence était là.
Mieux que personne, les Ecrivains Paysans savent d’expérience que la plénitude du cœur et de l’esprit, l’épanouissement de l’homme plongent leurs racines loin au-delà des contingences d’un monde aux facettes miroitantes certes, mais d’une déroutante instabilité.
L’amour ne se monnaie pas. celui gue l’on porte à la terre moins que tout autre. Cet amour nourrit le monde lorsque s’ouvre le sillon et qu’y descend le grain. Il faut des paysans pour satisfaire l’appétit des autres. Mais ces autres l’oublient et veulent les ignorer, contraints par la vie moderne, et par là ils contribuent à les couvrir d’une culpabilité que les écrivains paysans se doivent de dénoncer et de combattre.
En effet les gens de la terre ne se contentent pas de respirer l’air pur et de jouir du soleil. Leur tâche est immense et d’une infinie richesse: apaiser les faims du monde. Il y faut cette miraculeuse conjugaison des éléments les plus essentiels de la création et de cet irremplaçable outil qu’est la main de l’homme.
Rude tâche où, sans cesse, se mêlent joies et déceptions, espoirs et fureurs, mais où toujours restent courage et fidélité.
Au-delà de cet ouvrage quotidien, monte la marée puissante de la Fraternité et de la Paix.
Confondre le travail de la terre et celui de sa langue maternelle, c’est ignorer les frontières et les barrières entre les hommes, c’est œuvrer pour un avenir de paix. Les Ecrivains Paysans se veulent à la pointe de ce combat.
Congrès National de l’Association des Ecrivains Paysans
Laragne Montéglin , le 18 mai 1975
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