Conférence de Chantal Olivier et Claude Chainon présentée lors de l’Assemblée générale du Congrès de l’AEAP 2015 à Notre-Dame-de-Monts (Vendée) sur:
Ecritures paysannes
Les greffes de sauvageons
Perplexité et interrogations
Nous sommes souvent confrontés, nous écrivains et artistes paysans, à devoir expliciter ce que représentons, ce que nous faisons. L’alliance de ces mots intimement associés, d’écrivain et paysan, a toujours fait et fait encore l’objet d’interrogations auprès de nombreux publics y compris d’ailleurs auprès de certains d’entre nous, pourtant sensés être plus au fait du sujet. L’objectif de notre communication est donc d’élaborer un document qui permettra de répondre aussi clairement que possible aux questionnements des auditeurs. Quels auditeurs?, des personnes qui souhaiteraient rejoindre notre groupe mais aussi toutes celles qui cherchent simplement à échanger sur ce sujet qui les intéresse.
Essayons de répondre à trois questions simples:
Qui sont ces personnes, femmes et hommes qui ont souhaité être répertoriés sous le vocable: « écrivains et artistes paysans » et qui s’identifient à cette catégorie d’auteurs ?
Quels sont les critères pertinents qui caractérisent leur écriture?
Peut-on encore affirmer cette identité aujourd’hui et poursuivre la route et si oui avec quels projets?
Notre défi à tous est bien en effet de se projeter concrètement dans le futur, certes en n’ ignorant rien du passé mais en prenant en compte les données d’un monde moderne, ceci avec le même courage, de ténacité et d’intelligence que nos aînés.
Racines et cheminement
Nous vous proposons en tout premier lieu de rappeler l’histoire. D’où vient-on ? Comment des « paysans » en sont-ils venus à l’écriture ? Remontons rapidement le temps.
Incontestablement c’est au courant de la littérature prolétarienne qu’il nous faut aller puiser la genèse de l’écriture paysanne et auprès d’un de ses grands artisans du début du vingtième siècle, Henri Poulaille qui définit l’auteur prolétarien comme né de parents d’ouvriers ou paysans. « L’écrivain prolétarien est issu du peuple et le mieux placé pour parler du peuple ». Si le métier d’écrivain était, en effet, jusqu’alors réservé aux gens de bonne famille, celui s’ouvre désormais à des écrivains autodidactes d’origine populaire.
Il s’agissait alors de démontrer, à travers cette littérature que le dur travail des bras n’ôtait rien à la richesse des cerveaux et que s’il existait une « culture savante » il y avait aussi place pour « une culture issue du peuple ». Parmi ces auteurs prolétariens il est des paysans que l’atavisme, l’amour du métier et des valeurs de la civilisation agraire ont conduit à extraire de ce mouvement d’écriture prolétaire sa « cousine des champs ».
Ce fut l’œuvre, en 1946, d’hommes foncièrement déterminés. Ils se nommaient, Charles Bourgeois, Lucien Gachon, Philéas Lebesgue, Emile Guillaumin et le jeune Jean Robinet[1], tout juste rentré d’Allemagne avec son premier manuscrit « chevaux de labour » écrit sur du papier d’emballage. Ces pionniers fondèrent leur propre mouvement et créèrent, un organe de liaison :« Le courrier des Ecrivains-Paysans », avec un sous-titre sans ambiguïté: «Pour la défense d’une pensée paysanne ». Malheureusement, malgré les immenses efforts déployés pour obtenir une audience conséquente cette formation fut éphémère, tout au plus reçut-elle quelques compliments polis du Ministère de l’Agriculture, dont les soucis de l’époque, il est vrai, étaient autres. Aucun mécène ne se mobilisera et le dernier courrier paraîtra en juillet 1949.
Une graine leva à nouveau en 1972 pour donner naissance à l’Association des écrivains paysans. Nous ne sommes plus dans le contexte de 1949, pourtant les statuts de cette nouvelle association reprennent l’argumentation énoncée par les initiateurs. « Nous écrivons notre vécu avec la volonté de nous réapproprier la mémoire du monde auquel nous appartenons », objectif on ne peut plus clair.
Pour certains de ces membres il fallait ajouter une dimension universelle à la relation particulière qu’avait le paysan à sa terre et ce faisant accepter au sein du mouvement quelques écrivains d’autres pays, ouvrant l’écriture paysanne au-delà des frontières de notre pays. En 1980 le mot international prenait ainsi place au sein du sigle qui devenait AIEP.
Si les techniques culturales, le machinisme et l’organisation des marchés apportent en ces années fastes des avantages incontestés, le revers de la médaille en est l’exode rural. Curieusement, le recrutement associatif ne s’amenuise pas, au contraire l’AIEP s’enrichit d’écrivains qui, expatriés volontaires ou par nécessité trouvent dans l’écriture un exutoire salutaire. La présence de ces nouveaux venus, de plus en plus nombreux au sein de l’association, apporte un autre regard que celui du paysan de métier. Lors du congrès de 1978, cette situation qui aurait dû plutôt satisfaire généra pourtant une crise identitaire. Se posait la question d’inverser les deux termes d’écrivains et de paysans, parler plutôt de paysans-écrivains, avoir une démarche puriste et ne laisser l’écriture qu’à de seuls paysans de métier « qui savent de quoi ils parlent » ? La majorité du congrès ne se rallie pas à cette dernière thèse et préconise l’élargissement mais en prenant toutefois toutes dispositions pour éviter les dérapages vers une ouverture sans condition. Un comité de lecture sera mis en place et la vigilance sera de rigueur quant aux parrainages.
En 1996, les adhérents hors hexagone devenant peu nombreux, une seule de ces écrivaines restant fidèle, notre amie de Belgique, et le vocable international devenant un peu embarrassant à justifier vis à vis des médias, le Président Jean-Louis Quéreillahc modifie le sigle de l’association. La qualité d’innovateur qui était la sienne lui fit prendre en compte toute la diversité de la richesse de l’art paysan qui s’exprimait par la peinture, la sculpture, la photo, le conte ou le chant. Le mot « artiste » prenait alors place dans le sigle. L’association devenait celle des Écrivains et artistes paysans, s ‘enrichissant d’une dimension culturelle élargie au-delà de la seule écriture.
En 2005, Louis Malassis, l’un de nos adhérents, ayant foulé, jadis la terre battue d’une ferme bretonne, devenu en charge de hautes responsabilités au sein du Ministère de l’agriculture, sollicita l’AEAP comme membre fondateur de sa nouvelle association « Paroles de Paysans du monde »; Cette proposition fut acceptée sans contestation aucune; ainsi notre association réinvestissait une place au sein de l’international.
Un constat : la marche de l’association n’a pas été « un long fleuve tranquille », l’AEAP, en s’adaptant aux réalités de terrain, n’a, en sorte, pas cessé d’évoluer. Aujourd’hui une nouvelle frange de population est de retour à la ruralité. Parmi ces hommes et ces femmes se trouvent des sociologues, des chercheurs, des journalistes, des militants engagés auxquels la porte se doit d’être ouverte.
Notre association doit, sans nul doute, son dynamisme, a une réflexion collective incessante. Obligation nous est faite de poursuivre la route en intégrant les réalités du moment pour prendre la direction qui convient. Nous en reparlerons tout de suite si vous le voulez bien.
Venons-en à :
L’hétérogénéité des profils des auteurs et des œuvres
une même appellation :
écrivains et artistes paysans
A l’étude des différents auteurs qui se réclament de notre association et de leurs œuvres, apparaît une grande hétérogénéité des profils. Notre premier travail, dont nous vous passerons les détails dans le corps d’intervention mais dont vous pourrez prendre connaissance en annexes nous a conduit à étudier les origines professionnelles des écrivains à partir des textes « Témoignages des écrivains paysans » et « Contes et nouvelles du terroir »(édités respectivement par l’AEAP en 1992 et 1994) et d’autre part, à partir de la liste des auteurs inscrits au catalogue de la bibliothèque. Notre analyse a porté également sur les productions postérieures jusqu’à celles d’aujourd’hui. Au décryptage de toutes ces sources il apparaît qu’un subtil camaïeux forment ces littérateurs de la terre : des paysans dont c’est l’unique métier, des double-actifs, des paysans qui ont exercé à un moment de leur existence la profession de paysan, d’autres, d’origine agricole, qui n’exercent plus le métier mais qui ont participé activement aux travaux des champs ou, encore, tout simplement des observateurs attentifs et passionnés de la terre et de ses acteurs ( catégorie bien représentée dans l’association actuelle).
Le terme écrivain permet donc l’adhésion d’auteurs qui ne sont pas tous d’authentiques agriculteurs mais qui par leurs racines paysannes affectionnent profondément la terre et ce qu’elle porte et qui, comme les pratiquants du quotidien se rappellent qu’ils ont un ciel sur la tête et cette terre sous les pieds.
Cette hétérogénéité qui caractérise nos adhérents n’est pas nouvelle, Jean Guilly, longtemps trésorier de notre association recensait en 1984, 42 paysans authentiques, pratiquant le métier, pour 158 adhérents.
Sous la plume de ces écrivains-paysans aux origines et aux fonctions variées nous retrouvons bien évidemment une hétérogénéité d’écritures, différentes par la forme, par le style… Un écrivain-paysan est romancier, poète, technicien… On le trouve dans des disciplines qui vont de l’histoire, de l’économie à la sociologie ; beaucoup ont versé dans la rubrique syndicale d’approche plurielle (coopération, mutualisme, corporatisme entre mémoire et manifeste militant…). D’autres ont effectué un agréable mélange des genres mais, et c’est caractéristique des œuvres que nous avons étudiées, quelle que soit la nature de cette écriture, les paysans se retrouvent parce qu’ils n’y sont jamais oubliés. La paysannerie est le maître-mot de cette littérature et la « terre », son point d’ancrage fondamental. Notons qu’aucun auteur ne passe en perte et profit le nom fédérateur de paysan.
Un écrivain écrit
Le dire est une lapalissade
Nous introduirons ce bref chapitre à partir d’une question naïve mais ô combien pertinente que me posait un jour un élève d’une école primaire que je visitais: «Pourquoi écris-tu? » . Cette interrogation, me surprenant, m’embarrassa un peu. Je lui répondis tout de go : « Parce j’ai quelque chose à dire… ». Il me fallut expliquer et être clair dans mes réponses, excellent exercice qui finalement me renvoyait à moi-même des interrogations auxquelles je n’avais vraiment jamais trop pensé.
Pour être succinct disons que l’écrivain écrit parce qu’il décide d’écrire et qu’il souhaite graver la parole, la consigner sur une feuille (ou tout autre support) [2] pour qu’elle entre et subsiste dans la mémoire, pour qu ‘elle soit objet d’un message évocateur et rebondissant entre l’émetteur qu’il est et ses lecteurs. La démarche d’écriture est aussi un exutoire, chacun le sait, pour libérer ses émotions, difficiles souvent à énoncer verbalement.
« Écrire c’est témoigner des valeurs, des coutumes, des contradictions d’une époque… écrire est une façon de fracturer le monde et de le refaire… » nous dit Rose-Marie Lagrave dès l’introduction de son ouvrage « Le village romanesque ».
Écrire c’est aussi être acteur dans la marche d’une société et son évolution, c’est éclairer les rouages qui unissent les générations et qui rapprochent les peuples, peut-être, disons-le humblement, pour essayer de faire parfois changer un peu le monde… Écrivain, c’est une femme, un homme, avec ses racines, un vécu, une expérience, des aptitudes à observer, à analyser ses sentiments, ses émotions… Sa vie est un mille feuilles dont les contenus des strates entremêlées, s’appuyant sur le socle de ses origines, traduit une façon d’être, de penser, d’écrire pour construire. Les écrivains-paysans s’inscrivent dans cette droite ligne.
Le terme ECRIVAIN associé à paysan n’est pas usurpé ; il est même plutôt flatteur, la littérature paysanne n’est donc pas anachronisme.
Venons-en maintenant au terme « paysan » lui-même et ce à travers, un succinct balayage de l’écriture paysanne, pour être plus exact, des écritures paysannes.
L’écriture paysanne, une spécificité : la narration du vivant dans toute sa globalité
« La terre a son histoire, le paysan est son écrivain »
Des paysans écrivent. Qu’ont-ils donc à transmettre de particulier et qui peut les distinguer des écrivains lambda ?
Le tour d’horizon que nous venons d’effectuer dans le chapitre traitant de l’histoire de notre association nous conduit maintenant à nous pencher sur les caractéristiques et l’évolution de ces écritures paysannes. Petite précision, nous limiterons notre sujet aux seuls ouvrages qui traitent du monde paysan et de ses contours, ayant exclu dans le cadre de notre étude toutes les œuvres des écrivains-paysans, fort nombreuses, qui ne traitent pas du sujet lui-même.
Le terme de « paysan » est chargé d’histoire et son itinéraire est complexe.
Fixer une représentation des paysans n’est pas simple car toute définition doit se construire sur la diversité et là est bien le principe fondateur de cette activité tout au long de l’histoire, de par l’évolution des techniques, du rapport ville-campagne, du vote rural, du respect de l’environnement, de la mission nourricière de la planète. Le vocable de « paysan » est bien lourd de sens. Après une longue période où le mot a été même quasi insulte, il est, et c’est satisfaction, porté désormais avec fierté par nos jeunes qui arborent des casquettes et des T-short en son nom. Sa racine « pays », induit la notion d’origine, d’attache, d’appartenance à une communauté, à un terroir, autant d’ailleurs d’identités que n’oublient pas les auteurs.
Plus que de donner à ce terme une définition brutale, nous avons cherché à mettre en lumière les éléments qui, revenant de façon récurrente, nous semblent les plus caractéristiques des œuvres des adhérents de l’AEAP. Les agriculteurs, bien entendu, ne peuvent pas être contestés sur la légitimité de s’approprier ce vocable; leur métier les place en première ligne vis-à-vis de cette terre avec laquelle ils entretiennent une relation symbiotique, investissant leur intelligence, leur corps aguerri à l’effort, leur intuition et leur créativité. Mais il ne nous faut pas ignorer que cette relation à la terre, plus largement à la nature n’est pas une exclusivité des paysans de métier. La terre n’a pas pu garder tous ses enfants mais ceux qui ont dû ou voulu la quitter sont restés, pour une grande part d’entre eux, attachés à celle-ci. Il en ressort que les sujets traités par les uns et les autres ne sont pas d’élucubration virtuelle mais relatent le vécu. Ceux-ci portent sur la terre vivante, riche du végétal, de l’animal, de ces femmes et ces hommes qui la travaillent ou qui gravitent autour d’elle avec des traditions, des identités façonnées au contact d’un lieu, très souvent même d’un terroir et ceci à travers le temps. Les écrivains expriment ces liens forts qui les unissent à cette terre qu’ils cultivent, à sa beauté, avec beaucoup d’émotion et d’instinct mêlés et lui restent fidèles. Ajoutons que le métier de paysan est le seul qui, parce que consacré exclusivement au vivant, est entièrement tributaire des lois de la nature et ses serviteurs doivent accepter ses rythmes, imposant impuissance et domination à la fois. Leur écriture ne peut qu’en rendre compte.
La « terre », confidente de l’écrivain-paysan est, plus qu’une nudité minérale, elle est un matériau en mouvement alliant simplicité et complexité, imbrication subtile qui n’admet ni banalisation, ni aseptisation, ni tromperie bien sûr.
Notons encore cette pratique littéraire riche et variées des écrivains paysans qui donne à leurs œuvres une dimension universelle. Rien d’étonnant quand on sait que les communautés villageoises d’ici et de par le monde, partagent des valeurs identiques, souffrent des mêmes contraintes, connaissent les mêmes joies.
Voilà, résumées sommairement quelques facettes qui nous semblent caractériser le monde paysan et l’écriture paysanne. Ainsi ce mot PAYSAN que nous avons choisi comme emblème prend sens et importance. Vous êtes, nous sommes, ces ambassadeurs de ces écritures paysannes qui se devons de mettre tout en œuvre pour continuer de préserver cet espace que nos prédécesseurs ont conquis avec acharnement.
Une association dynamique demain comme hier
Une association qui a rassemblé des paysans écrivains et artistes, voilà une excellente manière « d’enrichir ce terme de paysan d’une dimension pluriculturelle ». Continuons de cultiver.
Regrouper « des auteurs vivant à la terre et de la terre mais aussi tous ceux qui ont des attaches dans le monde rural ou se sentent avec lui en affinités profondes et qui l’expriment »[3], c’est affirmer que l’écrivain d’inspiration terrienne est un « quelqu’un », qu’il est légitime qu’il s’engage et qu’il revendique sa place dans le monde de la littérature. L’association donne cette opportunité de s’élever au-dessus du quotidien, de construire une œuvre qui fédère, de s’approprier celle-ci, d’échanger, de se remettre en cause, de s’enrichir mutuellement. Aujourd’hui, comme hier, l’association doit unir en faisant fi des individualismes, des personnalités surdimensionnées, du chacun pour soi. Faire émerger des débats constructifs, provoquer la réflexion collective, imaginer les sillons de demain et construire. Là est notre devenir commun qui doit s’édifier à la fois en garant du passé et en chasseur d’îlots à naître..
- Nous ne pouvons passer sous silence ce qu’il est convenu d’appeler « la liberté d’expression ». Pour nous il s’agit de préserver la pensée pluraliste présente à travers les opinions de chacun sous réserve de ne pas porter préjudice à autrui, limite de l’élasticité autorisée.
- L’association doit être à la fois l’expression de la diversité et celle de l’unité et réciproquement. Point d’issue sans l’échange des opinions, sans la tolérance réciproque. Pas davantage de stabilité si toutes les diversités ne se cristallisent pas autour d’objectifs communs s’appuyant sur des valeurs partagées et mises en œuvre en équipe.
« Vivre la création des savoirs comme une construction partagée », merci Marie-Claude Mioche, Présidente du centre culturel de Goutelas (42) de le rappeler.
Poursuivre l’action, innover pour durer
Puisque nous sommes sur les belles citations retenons cette maxime indienne :« Aller à l’aventure et ne jamais arriver, être toujours en chemin et ouvrir des voies… », ceci pour engager le chapitre suivant de notre intervention.
Nous venons de beaucoup discourir mais nous ne pouvons pas nous nourrir seulement d’intentions et de paroles, aussi confortables soient-elles, il nous faut agir.
Quelques dates ont jalonné notre histoire et marqué le parcours de l’AEAP: 1946, 1972, 1980, 1996, 2005. Pourquoi pas 2015?
Nous ferons court : trois propositions, présentées sans volonté de les prioriser l’une par rapport à l’autre, des propositions qui ne sont bien entendu que suggestions et sur lesquelles nous attendons vos remarques, objet de l’échange que nous allons avoir en commun.
Première proposition :
En 2005 une association internationale, baptisée, Association Paroles de paysans du monde voit le jour sous la houlette de Louis Malassis et les responsables de l’AEAP d’alors. Celle-ci est aujourd’hui en veille. L’écriture paysanne est, nous l’avons montré, universelle mais doit se donner l’ambition et les moyens d’aller plus loin dans l’universalité en internationalisant la créativité de ses sources. Il n’est pas d’opposition entre le proche, le plus loin et l’autre bout du monde en matière d’écriture. Cette dimension constitue une richesse intellectuelle d’une importance capitale qu’il faut saisir.
Deuxième proposition:
La littérature paysanne ne doit pas être à la périphérie de la littérature. Il nous faut créer une véritable vitrine de cette littérature. Rêvons, mais avec ce pragmatisme qu’impose toutefois la retenue terrienne… Qu’empêche-t-il de créer un courant littéraire qui s’affirme au même titre que certains le sont devenus au cours de l’histoire, un courant qui soit spécifique à cette production particulière? Attention, affirmer sa spécificité ne signifie pas se replier sur soi mais, nous le répétons, s’ouvrir pour affirmer davantage encore son identité. Voilà l’un des défis qu’il faut relever dès à présent, étape essentielle qui permettra, selon nous, à l’association de franchir un cap en développant un projet qui fera date. Nous ne doutons pas que nous saurons pour cela trouver d’utiles et fructueux appuis…
Enfin troisième proposition :
Il est un devoir de communiquer par un rapprochement des générations, en allant plus loin qu’un transcripteur de sa propre aventure. Il convient donc de partager les expériences acquises, de transmettre les savoirs produits auprès de publics divers : seniors de nos clubs et à notre jeunesse, en particulier, à ces jeunes qui fréquentent nos établissements de formation dans le domaine de l’agriculture et qui sont censés assurer la relève. Ces jeunes sont, j’en ai fait l’expérience, preneurs d’histoire d’écrivains et d’écriture liés au monde agricole et rural, à ses fondements, à ses racines, à ses évolutions. Il nous faut donner le goût de la lecture en allant à leur rencontre, en parlant vrai et concret, absolue nécessité pour développer l’intérêt envers ces écritures. L’expérience a maintes fois démontré qu’un bon enseignant, est celui dont ce n’est pas le métier, un passant qui, apportant un regard extérieur, se fait enclin à être écouté.
Les écrivains sont des intervenants privilégiés envers ces jeunes auditeurs, en quête sous le couvert de leurs enseignants, de contact, d’échange et d’enrichissement intellectuel. Notre acte est pédagogique, un acte qui élève vers la culture, une culture qui nourrit l’imaginaire, un acte qui englobe « une diversité de références et de ressources », qui fait continuité » et lien, se plaçant en pourvoyeur de valeurs que d’aucuns ont oubliées dans un monde tourné le plus souvent vers l’immédiateté génératrice d’individualisme. Il faut redonner une véritable place à l’humain. Évitons cependant de trop discourir sur « le de mon temps », de narrer seulement « des souvenirs rédigés au crépuscule d’une vie, avec leur lot de nostalgie et de sélections confortables. Il faut penser une histoire sur laquelle on construit et non celle qui empêche d’avancer »[4]. Nous ne devons pas être que des conservateurs d’une agriculture de musée.
Notre jeunesse est demandeuse de ces clés pour ouvrir les portes de son demain. Les témoignages vivants transcrits dans les plus belles pages que vous avez écrites et que vous continuerez de couvrir sont, les meilleurs atouts que vous ayez à faire valoir.
Conclusion
Cette grande aventure collective, certes littéraire, ne peut être belle que si elle est avant tout celle de l’amitié, un lien vivant, ciment de notre cohésion, indispensable pour avancer sereinement. Ce rassemblement d’aujourd’hui nous en donne une fois de plus la preuve.
La campagne et sa terre nourrissent des penseurs, des poètes, des artistes que l’AEAP a pour ambition de rassembler. Si les pionniers tenaient à ne compter dans le cercle que des paysans, « les vrais paysans », ce temps est révolu. D’autres écrivains, on l’a dit, ont bu à la source de la terre et savent préserver les droits et les honneurs de la paysannerie et parler de celle-ci avec conviction.
Écrivains et artistes paysans, nous avons mission et nous dirons, obligation de porter un message qui fait trait d’union entre plus âgés et jeunes. Mais quel peut-être le message accrocheur? Il nous semble qu’il existe une préoccupation commune à toutes les générations. Le souci des paysans d’aujourd’hui est bien le même que celui du paysan d’hier : la production d’aliments sains, le respect de l’environnement et ce, quelle que soit la hauteur recherchée, des ambitions productives. Ajoutons la dimension humaine, atout fondamental et si précieux, parfois trop oubliée au profit d’options de court terme. Ce triptyque est l’essence du dialogue et conduit la réussite du message à passer auprès de nos jeunes auditeurs. En fait l’histoire est un éternel recommencement ! Sans se répéter jamais elle bégaie utilement.
Nous, écrivains, sommes, sans doute un peu plus que d’autres, habilités à soutenir ces idées généreuses et au-delà des préoccupations matérialistes, à faire une place à l’appétit des choses de l’esprit, au « commerce de l’âme avec la beauté, la sagesse, l’humanité».
« On ne peut bien greffer que sur le sauvageon » me disait jadis un de mes aïeux, alors qu’il y ait toujours des écrivains et artistes paysans sauvageons pour que se développent et prospèrent les greffes porteuses des fruits de demain ! Que nos jeunes reprennent le flambeau de leurs prédécesseurs ! Que les témoignages de ces derniers, nourris des racines de la vie, se conservent et se prolongent, que cette mémoire s’inscrive sur le livre du temps et se transmette, incommensurable apport intellectuel des commis de la terre ! Puissent ces paysans de demain, écrivains s’ils le veulent, être des « rêveurs de mieux », des re découvreurs de paradis perdu. Nous nous devons de rentrer en résonance avec la nouvelle génération afin de poursuivre le chemin d’une histoire future érigée sur un passé réfléchi.
En guise de toute dernière conclusion, si toutefois nous avons droit de parler de conclusion, ce que nous ne souhaitons évidemment pas, nous vous livrons cet écrit dont nous vous laissons le soin de découvrir et l’auteur et l’époque. « Unir aux lois universelles le progrès moderne devrait être un principe à ne jamais négliger. Tout ce qui touche au factice, à l’entassement, à l’empressement porte en soi un coté néfaste qui va toujours s’aggravant. Les villes tentaculaires en fournissent assez la preuve. Viendra-t-il un temps où chaque famille pourra jouir à volonté de ces biens communs qui sont l’espace, la lumière, l’air pur, où il sera loisible à chaque adulte de semer des graines, de planter des arbres, de trouver dans un contact fréquent avec la terre, un apaisement, une distraction, un intérêt ?». Texte d’actualité ?
OUI, toujours, mais écrit par Émile Guillaumin en 1947. (source revue : Le courrier des écrivains paysans. Juillet 1948).
Nous vous remercions de votre écoute attentive et vous proposons de débattre, de réfléchir ensemble pour inventer la suite de notre histoire car demain commence aujourd’hui.
[1] Nous nous devons de citer un précurseur, Michel Bernard (1873-1957) toute sa vie, paysan. Il est l’initiateur du syndicalisme agricole dans l’Allier. Il constitue en décembre la Fédération des travailleurs de la terre, dont le Travailleur rural sera l’émanation. Épris d’un syndicalisme utilitaire, il crée la caisse de crédit agricole de Bourbon, une des premières en France. (Source : Bernard Farinelli, Les Rêveurs de mieux ; p.6).
[2] 5 Le support peut bien être autre que cette feuille de papier : mur des grottes préhistoriques, murs des prisons, ordinateurs… Jean Robinet a commencé à écrire sur du papier d’emballage…
[3] Charles Bourgeois
[4] Bruno Collange, Directeur du centre culturel de Goutelas.
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