Conférence de Rose-Marie Lagrave lors du congrès de Plaisance 2022 pour les 50 ans de l’AEAP
Présente à l’AEAP depuis son assemblée générale constitutive, Rose-Marie Lagrave fut directrice de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Lorsque Jacqueline Bellino m’a appris que j’étais la seule témoin encore vivante de ces journées mémorables qui ont vu la création de l’Association des écrivains paysans, les 16 et 17 septembre 1972, ici à Plaisance-du-Gers, j’ai compris que ce rôle de témoin serait émouvant, éprouvant et double : témoigner de ces journées de création, et chercher à comprendre pourquoi et de quoi vos écritures témoignent, en soulevant certains paradoxes et contradictions sur lesquels vit votre association, paradoxes déjà présents dès sa création, et que je me propose d’éclairer.
Témoigner en tant que seule survivante, c’est porter avec moi et en moi tous mes amis écrivains-paysans décédés, et restituer le vif et le tranchant de ces journées pendant lesquelles ils ont patiemment et laborieusement créé l’AEP. Sans me substituer à eux, et sans me faire leur porte-parole, je voudrais en retenir certains fragments, tant leurs voix et leurs visages me reviennent avec force dans ce lieu de leur mémoire, pour me rappeler que la mort ne triomphe que si leur souvenir ne laisse plus aucune trace chez les vivants. Or les traces de cette première génération des écrivains-paysans sont nombreuses et vivaces : ils ont laissé des écrits, ils ont transmis une exigence et une ardeur, ils ont lancé un nouveau pavé dans la mare littéraire, ils irriguent encore l’histoire de votre association, ils sont donc bien présents parmi nous à l’occasion de ce Cinquantième anniversaire. Et cette présence n’est pas seulement un souvenir : elle agit encore dans nos pensées et dans nos cœurs pour nous rappeler le travail de mémoire consistant à faire le lien entre le legs fondateur que ces morts vous ont fait et les évolutions de votre association. Convoquer ces journées de 1972, en décrire le contexte et l’atmosphère, c’est rendre un hommage, celui que l’on doit aux bâtisseurs, tout en exerçant une réflexivité pour en restituer aussi les incertitudes et les contradictions. Témoigner, c’est aussi ressaisir ce moment où, d’apprentie sociologue je me suis reconvertie en participante active à l’AEP.
Une première rencontre, étrange et stimulante
Doctorante en sociologie sur la littérature paysanne, j’avais lu un petit entrefilet dans le journal Ouest-France mentionnant la tenue d’une réunion en vue de créer une association des écrivains-paysans, information tellement inusitée qu’elle a piqué ma curiosité. Je suis partie séance tenante, en faisant du stop de Tarbes à Plaisance, puisqu’il n’y avait pas de car à cette époque, et comme le rappelait à l’envie et avec humour Jean- Louis Quéreillahc, : « j’ai été cherché un abbé (l’Abbé Granereau) et j’ai laissé Rose-Marie. ». En arrivant très tôt le matin à Plaisance-du-Gers, je me suis assise sur un banc devant la mairie encore fermée, et j’ai attendu que quatre personnes passent et se dirigent vers la mairie : le quatuor était composé de Jean-Louis Quéreillahc, Louis Roques, Marius Noguès, et l’Abbé Granereau. Leur emboitant le pas à distance raisonnable, j’ai pénétré dans la salle et me suit assise tout au fond. J’ai assisté aux embrassades, aux présentations mutuelles, noyée dans un brouhaha aux multiples accents du terroir, me sentant d’autant plus étrangère que ma jeunesse d’alors contrastait avec ces hommes et ces femmes de l’âge de mes parents, voire de mes grands- parents. Des noms résonnaient tout à coup, noms d’auteurs dont j’avais lu les livres, qui prenaient soudain un visage. Plus la salle se remplissait, plus je me sentais étrangère et déplacée, jusqu’au moment où J. L. Quéreillahc s’aperçoive d’une présence inusitée et vienne vers moi. Qu’est-ce que je faisais là ? Rien, juste écouter, je ne dérangerai pas, et je lui demandais s’il acceptait ma présence.
Ce fut, en effet, étrange d’observer la manière dont cette rencontre s’organisait. Très vite, je décelai un triple enjeu : celui de l’orientation à définir pour l’association, celui de la présidence, et celui de l’organisation. J’ai le souvenir d’une réunion pas du tout organisée, dans laquelle chacun prenait la parole comme il l’entendait, les voix se chevauchant et s’interpellant dans un brouhaha où le sérieux ne le cédait en rien aux rires, anecdotes et plaisanteries, ce qui donnait l’impression d’une cour d’école ou de retrouvailles entre vieux copains, alors que certains se rencontraient pour la première fois. Toutefois, dès qu’il s’est agi de définir les orientations de l’association encore en germe, la discussion a pris un tour plus structuré : ce fut un jeu de ping-pong entre J. Robinet, J. L. Quéreillhac, Marius Noguès et Pierre Petitjean. Si tous les membres se sont accordés sur « l’amour viscéral du terroir et de la nature », cet amour, dès la première séance, s’est décliné en deux registres contrastés qui feront l’objet du second point de mon intervention.
Le deuxième enjeu, la présidence : je me souviens de la scène pendant laquelle J. Robinet et M. Noguès jouaient les utilités en se renvoyant leurs mérites réciproques, et en faisant assaut de modestie pour laisser la place à l’autre. En raison de la ligne majoritaire développant un rapport mystique et viscéral à la terre, mais aussi parce que J. Robinet avait déjà publié trois livres chez Flammarion, alors que les autres avaient publié dans des maisons d’édition régionales ou à compte d’auteurs, J. Robinet fut élu Président et Michel Maurette, Président d’honneur.
Ne restait plus qu’à trouver un organigramme de direction, capable de structurer un enthousiasme qui partait dans tous les sens, troisième enjeu. C’est Louis Roques, ancien instituteur, et J. L. Quéreillhac qui se sont alors imposés comme architectes pour faire voter les statuts, constituer un bureau et préfigurer le quadrillage régional et national de l’association naissante. Je me souviens avoir été étonnée de constater l’absence de sens de l’organisation des participants, tous persuadés qu’il suffisait de vouloir pour pouvoir.
Au fil des deux journées, dans les discussions, la question de l’organisation a pris le pas sur celle de la ligne littéraire, et c’est à ce sujet que j’ai basculé du statut d’observatrice à participante, ce que normalement une sociologue ne doit pas faire. Constatant leurs maigres connaissances en matière d’organisation, je m’étais enhardie durant les repas à suggérer quelques pistes. C’est donc la convergence entre ma position de sociologue parisienne perçue par le bureau de l’association comme une possible ressource, d’une part, et d’autre part, la fascination exercée sur moi par des gens de plume inattendus qui m’a fait passer de l’observation à la participation. À cet égard, j’ai été étonnée de lire dans l’ouvrage de Chantal Olivier et Claude Chainon, Les écritures paysannes , que j’étais mentionnée « déléguée aux relations extérieures », car si j’ai participé à la vie de l’association, je ne savais pas que tel était mon titre.
En lisant le compte-rendu de ces journées rédigé par Louis Roques, il me semble que ce compte-rendu sous-estime le débat de fond entre deux orientations au profit de l’accent mis sur un consensus, qui se comprend dès lors qu’il s’agit de créer une association, débat que je voudrais à présent reprendre, re-déplier, et peut être rendre plus explicite.
Témoigner d’un consensus fondé sur un malentendu
En revisitant les discussions de ces journées, en relisant le manifeste de Laragne et quelques-uns des ouvrages de cette génération fondatrice de l’AEP, on constate que le consensus qui a permis la création de l’AEP était fondé sur un malentendu très vite écarté, entre deux conceptions de ce que doit être une littérature écrite par des paysans. La première, largement majoritaire, entend promouvoir « une ode à la terre nourricière, au travail paysan et à la Nature » ; la seconde élève une protestation contre ce que M. Noguès appelle les « profiteurs, les dénigreurs et autres technocrates », ligne, elle, minoritaire se référant à la littérature prolétarienne. Les premiers étaient confiants dans le progrès, les seconds n’en voyaient que les dégâts, en sorte que deux lignes coexistent, jamais explicitées en tant que telles, mais constamment à l’œuvre de façon tacite et souterraine. Il est difficile de qualifier l’orientation majoritaire de l’association durant ses premières années, car elle croise une mystique de la terre, un hymne à la nature, avec les affres et la grandeur du travail paysan, érigé en art de vivre avec la terre et par la terre. Les poèmes d’Emile Raguin et de Chantal Olivier, certains textes de Jean Robinet, par exemple, évoquent ce corps-à-corps avec la terre, cette terre-mère, cette terre-femme nourricière et apaisante. Ces accents-là ne peuvent venir que de ceux et de celles qui ont une relation directe et sensible à la terre. Or l’essor du machinisme et l’ouverture de l’association à des non-paysans ont fait écran à ce rapport immédiat à la terre, de sorte que ce rapport charnel à la terre exprime la nostalgie d’un monde que nous avons perdu, chant du cygne d’une écriture témoignant des gestes de sollicitude du paysan à sa terre, gestes suspendus et brisés par la mécanisation du travail, mais dont le souvenir incorporé continue de féconder l’écriture.
Le second registre est, lui, protestataire : selon le compte-rendu de Louis Roques, Marius Noguès « stigmatise les tenants d’une alimentation synthétique et les pourvoyeurs de pollutions multiples », pour en appeler à la justice et à la liberté, dans une filiation assumée à Émile Guillaumin. C’est un cri d’indignation et de révolte contre les évolutions en cours dans le monde agricole : concentration des terres, exode rural et agricole, difficultés de transmission des exploitations, ce qu’Henri Mendras traduira par La fin des paysans, remplacés par des agriculteurs et des entrepreneurs agricoles, que Noguès fustigeait également pour préserver et promouvoir la figure du paysan, et pour lui, la littérature paysanne devait témoigner de l’esprit de résistance à ces évolutions.
À cet égard, le Manifeste de Laragne de 1975, trois ans après la création de l’association, semble annuler les deux registres précédents au profit d’un consensus en faveur de l’orientation défendue par M. Noguès. Avec l’anaphore « ils protestent » qui structure le texte, le manifeste en appelle à une littérature de combat « contre l’envahissement de l’industrialisation en agriculture sous prétexte de libération de l’homme ». Ce consensus de Laragne n’est que de façade, car le manifeste n’annule pas les deux orientations précédentes, il reste sans écho et ne donne matière à aucune évolution ultérieure, chacun écrivant ce qu’il veut, sans référence à ce manifeste. Toutefois, et c’est à vous de me le dire, je ne sais pas si le conflit mentionné dans le livre de Chantal Olivier et Claude Chainon, au moment du congrès de Valognes en 2014 est redevable à la tension entre ces deux orientations, puisque qu’ils écrivent (p.83) que : « l’élection de Dominique Joye à la Présidence marque un changement de cap puisqu’il n’est pas né à la terre ni devenu agriculteur ». Vous ne donnez aucune raison à ce conflit, en sorte que l’on est fondé à émettre l’hypothèse que les débats ont porté sur la définition d’un écrivain-paysan, qui doit donc exercer ce métier, si je comprends bien. Si tel est le cas, vous reprenez alors la définition d’un écrivain-paysan souvent soulignée par E. Guillaumin, qui comporte quatre critères : la naissance, l’éducation autodidacte, l’exercice du métier et une écriture « authentique, claire, concise et simple ». Cette définition a évolué et devient elle-même un enjeu entre une définition très extensive ou très restrictive de ce qu’est un écrivain-paysan, puisque désormais le métier de paysan n’est plus une condition d’adhésion. Vous avez opté pour une ouverture à des non paysans, mais du coup la lisibilité de l’association s’en trouve brouillée, car vue de l’extérieur, elle oscille entre écrits sur l’agriculture ou le monde rural et continuité de la transmission d’une écriture charnelle de la terre, registre qui tend à s’épuiser, à mesure que les conditions actuelles de l’agriculture permettent de moins en moins ce contact direct à la terre. En relisant les documents et certains écrits, l’évolution de votre association m’a conduite à m’interroger sur une troisième orientation qui aurait pu être envisagée, mais qui est non advenue, présente en filigrane, qui agit cependant comme un sous-texte, et que je voudrais rendre plus lisible, sous forme de question, car cette troisième voie aurait eu le mérite de concilier les deux tendances précédentes, et je la formule sous forme de question.
Et si vous aviez raté le tournant des écritures de l’agriculture paysanne et écologique ?
Je sais par avance que cette question est controversée, épineuse et sujette à caution, notamment après avoir relu le numéro 48 du « Lien des Écrivains et artistes paysans ». Pourtant, je ne vais pas reculer devant l’obstacle. En comparant le socle des valeurs mises en avant par votre association et les arguments quasi identiques d’une éthique écologique à l’égard de la terre et de la nature portée par une nébuleuse de militants, s’ouvre, à mes yeux, une énigme que je voudrais vous soumettre : pourquoi vous êtes-vous laissé voler la vedette de l’écologie paysanne ? Pourtant, les deux orientations que j’ai précédemment décrites auraient pu se réconcilier autour d’une écologie paysanne, puisque dans le manifeste de Laragne coexistent une critique de l’industrialisation de l’agriculture et « l’amour viscéral de la nature » cité par Jean Robinet. Lors des journées de création de votre association, avec le manifeste de Laragne, dans vos poèmes et vos écrits, on constate que vous êtes des précurseurs de cette écologie paysanne, sans jamais la revendiquer et sans jamais vous en revendiquer comme inspirateurs et comme incubateurs, et je voudrais en donner quelques exemples.
Dès les journées de création à Plaisance, Pierre Petitjean et non Henri comme l’a écrit L. Roques, souhaite que « la condition paysanne trouve dans l’association ses véritables défenseurs », et M. Noguès, je lai dit, fustige déjà les « les sceptiques et les dénigreurs, les profiteurs et autres technocrates », tout en s’élevant contre « la pollution et l’alimentation synthétique ». Avec ces mots, s’ouvrent les prémisses d’un combat que ne renieraient pas ceux et celles qui soit n’ont pas eu les moyens de se moderniser, soit cherchent des alternatives à l’industrialisation de l’agriculture, déjà mise au pilori dans le manifeste de Laragne. Autre exemple : vos écrits et poèmes restituant votre lien charnel à la terre ne sont-ils pas l’un des canevas à partir duquel penseurs et praticiens de l’écologie paysanne proposent à présent de penser la nature et la terre comme des êtres vivants, comme des ensembles organiques qui ne doivent être violentés ni par la multiplication d’engrais ni par la déforestation, mais protégés et respectés ? Votre amour charnel de la terre, tel que vous le décrivez, apparaît ainsi incompatible avec l’unique recherche de rendements qui épuisent la terre, ainsi mise en souffrance. Vos écrits préfigurent une agriculture paysanne et écologique, mais sans le dire. Vous avez eu raison avant la vague écologiste, sans faire valoir votre position de pionniers en partage avec d’autres, tel René Dumont à l’époque, et d’autres encore. Or, si vous aviez revendiqué cette troisième voie, en vous inscrivant dans l’un des creusets de ces alternatives paysannes à l’agro-industrie, non seulement vous auriez été fidèles au manifeste de Laragne, mais vos écrits auraient été reçus comme l’une des voix qui dessinaient et participaient aux débats concernant les effets pervers des modèles d’agriculture dominants, et la recherche de voies alternatives permettant de conserver ou de retrouver un rapport direct à la terre. Un autre exemple encore : vos écrits témoignent de la responsabilité du paysan à l’égard du travail de la terre : on y décèle des savoir-faire et des savoir-être qui ont tous pour finalité de maîtriser l’ensemble des tâches et des gestes du travail, permettant, sans un cortège d’intermédiaires, de transformer des cultures vivantes en alimentation. En cela, vous convergez avec nombre d’initiatives actuelles, éparses et diverses, qui entendent se réapproprier et réinventer ces gestes paysans dont nombre de paysans ont été dépossédés au nom du progrès. Pour ces paysans écologistes, il ne s’agit nullement d’un passéisme, mais d’une volonté de se ménager une marge de réappropriation directe des moyens du travail et des circuits marchands pour s’opposer à l’anonymat commercial, en articulant savoirs ancestraux et nouvelles connaissances autour de la nature et du vivant, volonté exprimée en filigrane dans les écrits des écrivains fondateurs de votre association. Vous avez été des précurseurs, mais sans le savoir et sans le revendiquer.
Il est autre chose que vous ne faites pas valoir : l’écriture.
Il n’est pas anodin que le débat assez vite refermé lors de la création de l’association, concernant la préséance d’écrivain ou de paysan dans le label de votre association ait été conclu par Écrivains d’abord. Or si vos écrits attestent « les écritures paysannes », votre association a peu travaillé collectivement sur qu’écrire veut dire, ce qu’écrire suppose d’ascèse et de travail, de choix stylistiques, de manières éventuelles de faire école littéraire.
En relisant les œuvres d’Émile Guillaumin, je suis frappée de constater l’importance de ses textes concernant ses difficultés à écrire, ses interrogations sur les liens entre autodidacte et écriture, sur ses relations avec ses lecteurs, etc. Dans les compte-rendu de vos congrès ou dans votre blog internet, le volet paysan l’emporte sur le volet littérature. Peu d’éléments concernent votre rapport à l’écriture, pas de séances de réflexion collective concernant la place des écrivains-paysans dans la littérature, quels publics vous voulez atteindre, quels registres d’écriture seraient à privilégier pour que soit reconnaissable par le public un style et pourquoi pas un genre littéraire identifiable. Lors de vos congrès, vous visitez des régions et des exploitations, et cette ouverture est bénéfique, mais vous ne visitez pas d’ateliers de lecture et d’écriture, des centres culturels, des librairies auxquels confronter vos ouvrages, lacunes qui vous gardent à distance des univers culturels, et partant des professionnels de l’édition. Vos écritures créent l’identité collective de votre association, mais on a du mal à discerner l’intention esthétique qui vous anime. Là aussi, il me semble qu’une clarification sur votre vision de l’écriture paysanne serait une belle avancée pour donner une visibilité à votre association. En effet, la diversité bienvenue de vos livres pose la question de savoir si toutes les écritures participent de la littérature. Passer de l’écrit à l’écriture littéraire est un passage à hauts risques, et tous ceux qui écrivent ne sont pas des écrivains. Parce que vous n’êtes pas attendus dans le champ littéraire, vous y inscrire néanmoins est une lutte collective absente de vos compte-rendu. Or ce scandale de votre exclusion devrait faire partie intégrante d’une réflexion collective, pourrait être un motif littéraire, dont se sont emparés, par exemple, les écrivains issus de la colonisation pour accéder à la scène littéraire dans laquelle, à présent, ils sont reconnus et consacrés. Il ne s’agit pas, à mes yeux, d’exclure ou de catégoriser des ouvrages, mais de travailler pour chercher et définir collectivement une écriture littéraire paysanne reconnaissable par sa singularité, à l’instar des écritures ouvrières repérables par l’explicitation du sentiment d’exploitation et d’extinction dont ce groupe social fait l’objet. Quel pacte littéraire et quel genre littéraire seraient à privilégier entre les récits de soi, les témoignages sur la vie paysanne, les rapports du paysan au vivant, le recours à la fiction pour dessiner un avenir pour le monde paysan, petite fraction du monde agricole certes, mais immense quant à sa capacité de réflexivité critique ?
En disant cela, vous l’aurez compris, je plaide en faveur de l’élaboration d’un nouveau manifeste, tel un cadeau fait à votre association pour ses cinquante ans, manifeste qui précise quelles sont les positions que vous prenez à l’égard des paysanneries, et qui explicite surtout votre vision et position dans la littérature.
Vous avez su donner à votre association une dimension internationale, vous avez su intégrer tous les arts pour attester les effets de la pluralité de ses formes et supports dans votre vie ; il me semble qu’à cinquante ans, le moment est venu pour votre association d’afficher sa ligne d’horizon, de relever de nouveaux défis, de clarifier ses priorités et sa singularité, de chercher des alliés dans le monde paysan et dans le monde littéraire. Ce nouveau manifeste attesterait certes la transmission du témoin de génération en génération d’écrivains-paysans, mais il en appellerait aussi à ces jeunesses effervescentes qui ont compris que la nature et la terre sont des biens mis en danger et frappés de finitude, ces dangers que les écrivains-paysans avaient déjà pressentis en 1972, lors de la création de votre association.
Rose-Marie Lagrave
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